Moi qui gravissait l'escalier
Jadis comme un chemin plat
Me voici pieds et reins liés
Marchant courbé à petits pas
Aujourd'hui mes jours sont comptés
En moindre nombre qu'autrefois
Il reste des sourires figés
Sur des photos couleur sépia
Autour de juin ou de juillet
On s'interesse à mes tourments
L'anniversaire d'un fusillé
Ou celui du débarquement
Aux flonflons du bal des pompiers
Alors que la jeunesse danse
On s'émerveille à la télé
Voyez comment on fait la France
Je me souviens des javas bleues
Dans les p'tits bals de l'après-guerre
Quand le canon a fait long feu
Et qu'on oublie les cimetières
Suzon qui dansait au milieu
La tête rejetée en arrière
Et vous nos enfants du bon dieu
N'étiez encore que des chimères
Les vacances arrivaient comme ça
Au bout d'une année laborieuse
Nous montions tous dans la Simca
Paris-Touquet l'humeur joyeuse
Et revenions en catharsis
Vers l'usine ou la bétonneuse
Sans penser que ce sacrifice
S’appellerait "les trente glorieuses"
On écoutait Sidney Bechet
Sur un beau pick-up en plastique
En buvant une petite clairette
A la santé des amériques
Tant de mes amis sont partis
Goûter les vignes du seigneur
Certains déjà les malapris
Étaient restés au champ d'honneur
Parfois j'ai la mémoire qui flanche
C'est vrai je m'rappelle plus très bien
Si c'était jeudi ou dimanche
Que je t'ai demandé ta main
Mais je me souviens en revanche
D'un manège à la foire du trône
Ton sourire et ta robe blanche
Font la saga dans mes neurones
Qu'est donc devenu ce désir
Du jour prochain qui se promet
Le temps court et le souvenir
N'est plus qu'une ombre inanimée
Déjà hier est l'avenir
Déjà hier est l'avenir
Demain est quasimment passé
Les années glissent au nadir
Et leur lumière disparaît